ETRE UN INTELLECTUEL CATHOLIQUE DANS LA CITE

Pierre-Charles Aubrit Saint Pol

 

 

LA LETTRE CATHOLIQUE N°60

DIFFUSION GRATUITE - FAITES LA CONNAÎTRE – 12 décembre 2008 -

" Est ce qui est ! Obéir à la Vérité pour mieux servir la Charité "

 

 

 

 

 

                      

 

                  

 

ENTRETIEN IMAGINAIRE N°3

 

ENTRE

PIERRE-CHARLES AUBRIT SAINT POL ET PIERRE DEGRAUPES

 

 

P.D. : « - Dans les deux derniers entretiens, vous parlez de votre conversion, n’êtes-vous pas né dans un milieu catholique ?

 

P.C.A. : - Certainement, je suis né dans une famille catholique. Une famille héritière et victime d’un formalisme religieux, peu pratiquante ; attachée à sa foi par tradition sociale et par attachement instinctif à l’ordre moral et social. Tous les membres de ma famille avaient la foi, mais quelle intelligence en avaient-ils, ils n’en parlaient guère. Ma grand-mère se révélait parfois, expliquant qu’elle ouvrait sa journée avec un grand signe de croix et la refermée de même. La foi était très associée au comportement moral, aux vertus. Pour mes grands-parents, il ne fallait pas se déranger et le devoir suprême était en sus du travail, tenir digne sa maison, ce qui incluait l’honnêteté, la rigueur et un sens féroce et instinctif de l’honneur.

Il y avait des membres plus pratiquants que d’autres, ceux-là étaient regardés avec une crainte respectueuse et observés avec plus de sévérité. On craignait que la pratique religieuse ne fasse déroger à l’ordre ordinaire de la vie établi une fois pour toutes. Il ne fallait pas sortir de son devoir !

 

P.D. : - Alors pour vous, que représentait la foi, la religion, l’Eglise ?

 

P.C.A. : - La foi, jusqu’à ma conversion, ne représentait rien ; croire en Dieu était une norme d’éducation, ce n’était pas une expérience intérieure. En dehors du catéchisme reçu, je n’avais rien au quotidien qui m’aide à faire l’expérience de la foi, à la comprendre, à l’introduire comme une réalité de ma vie.

 

La religion était un concept qui m’échappait complètement ; je la reliais à l’autorité, au monde terrorisant des adultes. Je n’y réfléchirais vraiment que dans les clairs-obscurs des balbutiements de ma recherche intérieure et encore par défaut. Je pressentais bien des interrelations entre les hommes pour composer et structurer la société, mais je refoulais ce pressentiment. Je ne voulais pas ouvrir une porte supplémentaire sur le monde des adultes. Je saturais trop de leur oppression ténébreuse dans le quotidien de la vie.

 

L’Eglise me séduisait autant qu’elle m’inquiétait.  Elle m’apparaissait, au plus lointain que je puisse m’en souvenir, comme une accumulation de mystères : cela allait du prêtre, au geste liturgique le plus simple, sa parole semblait cacher une réalité dont l’attrait devenait obsessionnel, plus fort que l’inquiétude. Mais ne parvenant pas à dépasser chez le prêtre l’adulte, je retombais dans mes angoissants rejets qui seuls, durant de longues années, me permettaient de survivre, d’éloigner un lieu de mon être de la méchanceté d’un monde qui n’entendait pas mon besoin d’aimer. Mon besoin tragique d’être reconnu. On ne prendra jamais assez au sérieux un enfant ! Si l’adulte prenait l’exacte mesure de ses silences, il y rencontrerait sa misère, sa mesure exacte.

De l’expérience intérieure de l’Eglise, c’est étrangement aux lieux de cultes que je dois les plus enrichissantes. Quelle que soit leur qualité artistique, il y avait, et cela dure, une empathie si forte que je percevais dans une unité vertigineuse la somme de ses mystères ; c’étaient de rares moments de paix et de consolation.

 

P.D. : - Mais alors, que fut pour vous la conversion ?

 

P.C.A. : - Elle commença à 18 ans, à la fin de l’été 68, dans la ville de Lille, cité de mon berceau. Près de la gare SNCF, se trouvait un bureau militaire de recrutement. Ce jour-là, je m’y trouvais avec d’autres pour signer mon engagement dans la marine. Je vois encore le gradé qui s’étonne du temps de réflexion que je me donne juste avant d’apposer ma signature : « tu signes ou quoi ! » Je le regarde ahuri, et je signe. A ce moment là, à ce moment précis, je sais que je vis une rupture et que je n’irai pas au bout de mon engagement. Mais que cette nouvelle porte, tout aussi inquiétante que les autres, m’est nécessaire. Ma signature est alors consciemment une sorte de paris sur l’avenir, un acte de confiance dans l’incertain que je sens habité. Cet événement très banal, ordinaire est réellement relié à un point inconnu de mon être, dont l’écho n’est toujours pas achevé. Je ne peux douter aujourd’hui, que Dieu se trouvait près de moi à ce moment précis et qu’il a soutenu ma main. Et bien plus tard, je réaliserai que le divin est bien plus présent dans l’ordinaire de la vie que dans l’extraordinaire. Que le divin est présent à l’acte du péché. Je comprendrais, que de ma conception à cette signature, j’ai vécu dans une proximité de Dieu, plus sensiblement que dans l’Eucharistie. Il m’aura fallu beaucoup de temps pour découvrir que ma foi en Jésus-Christ était vivante au cœur de mes plus insupportables épreuves de mon enfance. Je crois, avec une audacieuse liberté, pouvoir dire que dès les reins de mon père Dieu me conçut. Je suis un enfant privilégié de l’amour de Dieu. Et j’ai la certitude d’avoir été visité par des célestes personnages dans les moments les plus tourmentés, car certains événements étaient habités par les forces du mal, et c’est dans ces épreuves-là que ma raison aurait pu chavirer dans la folie. J’aurai dû mourir sous les sévices. Et je crois qu’à plusieurs moments de ma jeunesse, j’en ai fait l’expérience. Mes épreuves d’adulte ne sont rien par rapport à ce que j’ai connu enfant.

Ma conversion est étroitement liée à l’expérience du mal que j’eus à supporter dès ma conception, et l’ironie du sort voulut que je fusse l’enfant désiré, celui sur qui on espérait ressouder le couple parental… L’enfer se déchaîna sur moi dès la première heure de ma naissance, je suis mort-né par empoisonnement du sang, ma grand-mère paternelle me baptisa « à l’article de mort » et je guéris immédiatement.

 

P.D. : - Comment pouvez-vous dire que vos épreuves d’enfants furent plus lourdes que celles que vous connaissez en tant qu’adulte ?

 

P.C.A. : - Nous avons tous une mémoire génétique qui est codifiée et que l’on peut décoder, non sans l’aide du pouvoir sacramentel de l’Eglise, car il y a un lien indissoluble entre le décryptage de ces codes et le Magistère de Vérité avec lequel nous sommes reliés par le sacrement du baptême. Nous en sommes encore qu’au tout début, mais c’est un aspect de l’être qu’on ne pourra longtemps ignorer, car il correspond à l’évolution de plus en plus spirituelle de l’Eglise, des membres du Corps Mystique du Christ. Il y a un lien ontologique entre l’existence de la personne humaine et la vérité, une vérité absolue qui ne peut être approchée que par révélation. Le refus réaliste, conscient de la vérité révélée produit une réduction radicale de l’homme en deçà de l’animal, il a pour effet une lente déstructuration de l’être.

 

P.D. : - Pour vous, votre conversion est une acception et une adhésion radicale à cette Vérité révélée ?

 

P.C.A. : - Oui, mais je ne l’ai compris que bien plus tard. Il me fallait accepter que Dieu mette de l’ordre dans mon passé, mon présent pour mon seul avenir qui est Lui ; ce qui induit une purification et l’expérience mariale de l’écorchement décrit par Louis-Marie Grignon de Montfort. Seule une mère peut aider son enfant à accepter l’initiation du père, ce qui est vrai pour la loi de nature, l’est bien plus encore pour ce qui est de la vie spirituelle pour un chrétien. C’est tout le sens des paroles suivantes : « Fiat voluntas tua ; faites tout ce qu’il vous dira ; fils voici ta mère, mère voici ton fils ».

 

P.D. : Votre conversion s’est donc déroulée le jour de votre engagement dans la marine ?

 

P.C.A. : Non, pas au sens strict ! Mais il est une étape préparatoire à ce renversement qui ne surviendra que neuf ans plus tard et quinze ans après avoir assister spontanément au mois de Marie. Entre-temps, je suis passé par les courants de new-age, des sectes à pseudo-mystères, la fréquentation des cercles occultes et toutes les lectures qui vont avec, ce qui par à-coup ne m’empêchait pas d’assister aux liturgies catholiques ou juives. Je cherchais à mettre du contenu dans ma vie dissolue, si dissolue que j’en vains à souffrir de malemort, au point d’envisager le suicide. Je m’exécutais et je survécus miraculeusement sans même avoir recours aux soins intensifs, malgré la quantité de cachets. Mais de mes dix-huit ans à ma conversion et puis après, je fus visité par des esprits qui ne venaient pas tous de la part de Dieu. J’en ai tiré une grande leçon : les esprits damnés exigent et imposent, Dieu et les esprits saints proposent, mais étrangement dans les « deux camps » on est suspendu à la liberté de l’homme, à l’usage qu’il en décidera. En conclusion, on ne se damne que parce qu’on le veut et il en est de même pour son salut. Dans l’ordre naturel comme dans l’ordre spirituel la neutralité, le non-agir n’ont pas d’existence, c’est un concept qui ne repose sur rien. Ceux qui ont le derrière entre deux chaises ont perdu l’intelligence de la vie.

 

P.D. : - Vous avez donc pris des chemins de traverse ?

 

P.C.A. : - Oui, mais comme l’enseigne sainte Thérèse de Lisieux : « tout est grâce » ; l’appétit d’une vie spirituelle, intérieure m’est venu grâce à la lecture surréaliste d’un certain Long Chan Rampa, le Troisième Œil.  Pour autant rien ne me satisfaisait, je brûlais d’angoisses, j’étais prisonnier d’un véritable désespoir.

 

P.D. : - Comment se déroula votre conversion ?

 

P.C.A. : - Ce fut comme toujours, une rencontre providentielle avec la plus improbable personne ; de ces personnes qu’on ne regarde pas tant elles sont à leur place, c’est-à-dire amies de Dieu. Son rayonnement était immense à la mesure de son humilité. Puis on m’offrit de participer à un pèlerinage à San Damiano… Là, je fis une expérience de résurrection : ma conversion fut d’abord une rencontre, une rencontre de personne à personne. J’ai rencontré Jésus. J’ai fait l’expérience sensible, affective de l’amour. J’ai compris que mes fautes étaient au tant de souffrances pour Lui et qu’à cet instant, il s’en servait pour me sauver… J’ai pleuré, pleuré pour ma délivrance ; mes verrous ont simultanément sauté. Je n’avais plus aucune protection, de défenses, mais plus fort encore, je sortais de là sans plus avoir peur, je n’avais plus peur de moi, car cette expérience me fit comprendre que j’étais aimé pour moi-même, que je l’avais toujours été. La conversion est nécessairement une rencontre. L’amour de Dieu me renversa et ce renversement me remit progressivement à l’endroit. Je commençais une longue convalescence.

 

P.D. : Que devint votre regard sur l’Eglise ?

 

P.C.A. : C’est là, le caractère atypique de ma conversion. Dans les quarante-huit heures de cet événement, Dieu disposa de telle manière mes premiers pas, que je plongeais tout de suite dans la crise de l’Eglise. Je fus projetais le lendemain de ma conversion dans l’intérieur de la maternité douloureuse de l’Eglise. J’ai réellement forgée ma vie spirituelle par ses souffrances. Je suis tombé dans sa passion.

Ma foi nouvelle fut dangereusement éprouvée par la rencontre de laïcs, de prêtres. J’ai véritablement expérimenté la présence du mal dans l’Eglise. Etrangement, au fur et à mesure que les épreuves se présentaient, et souvent avec une violence morale ou spirituelle extrême, mon amour pour l’Eglise se consolidait ; bien des prêtres me furent des suppôts de Satan, le Tentateur. Lors de mon séjour au séminaire de Paray le Monial, je fus agressé par le supérieur avec une violence inouïe, l’abbé Bagnard Guy, de formation philosophique. Il m’interpela un jour devant tout le monde au réfectoire par cette apostrophe : « Pierre, je vous reproche d’être ! ». Imaginez ce que je pus en ressentir ! Et imaginez la tête de Dieu en entendant cette interpellation : les anges m’ont murmuraient qu’il avait connu une sorte de dépression métaphysique ! Etait-il le bon Créateur ?

L’expérience de la souffrance de l’Eglise fut étonnante, extraordinairement libératrice, car grâce à elle mes rapports avec le monde des adultes, je cessais de les subir, j’entrais en résistance. Il ne me plaît pas davantage aujourd’hui, mais je le vois pour ce qu’il est : un enfant capricieux. Il est constamment à la recherche de sa dernière couche-culotte, il a la nostalgie féroce de son dernier biberon.  C’est la Sophie de la Comtesse de Ségur.  Mais j’ai aussi découvert un monde d’adultes bénis, dans lequel ont peut encore trouver une humanité véridique, riche d’un esprit de pauvreté lumineuse.

 

P.D. : Pensez-vous un jour vous réconcilier avec ce monde effrayant d’adultes ?

 

P.C.A. : Je n’en sais rien, cela dépendra de la grâce de Dieu. Car le monde de ces adultes est l’esprit du monde ; or, on ne peut, en qualité de chrétien, être l’ami de ce monde-là ! On ne peut s’y exposer volontairement sans qu’il vous aspire. C’est l’empire de l’orgueil, du mensonge. C’est le déshonneur couvert des apparats pourris, tragiquement surligné par la culture de mort, si fermement dénoncée par Jean-Paul II le Grand. Des riches peuvent porter cette humanité lumineuse, et des pauvres peuvent porter avec férocité l’esprit de ce monde.

Je prie Dieu de mourir dans la maturité de l’enfance et surtout pas dans celle de l’adulte.  L’un des plus grands fruits de cette grâce de conversion se révéla par le développement extraordinaire de ma liberté intérieure. Je n’ai plus peur de vivre, je ne crains donc plus la mort, car la trame de ma vie est dans les mains exclusives de Jésus-Christ. Où y a-t-il un bien supérieur à celui là ?