MEDITATION DE LA BIBLE-SODOME ET GOMORRHE

DESIRE WASSON

 

 

LA LETTRE CATHOLIQUE N°54

DIFFUSION GRATUITE - FAITES LA CONNAÎTRE – 05 novembre 2008 -

" Est ce qui est ! Obéir à la Vérité pour mieux servir la Charité "

 

SODOME ET GOMORRHE

 

 

 

 

Annonce de la destruction de Sodome, intercession d’Abraham

 

« S’étant levés de là, les hommes regardèrent du côté de Sodome ; Abraham allait avec eux pour les reconduire. Et Yahvé dit : « Cacherai-je à Abraham ce que je vais faire, alors qu’Abraham doit devenir une nation grande et forte, et que par lui se béniront toutes les nations de la terre ? Car je l’ai distingué, afin qu’il commande à ses fils et à sa maison après lui d’observer la voie de Yahvé en pratiquant justice et droit, afin que Yahvé fasse venir sur Abraham ce qu’il a dit sur lui. » (Gen. 18, 16-19)

 

Dans le verset 16, Dieu encourage Abraham à entrer dans une intimité avec lui, il raccompagne ses visiteurs ; cette attention est si agréable à Dieu qu’il lui dévoile une décision de justice « Cacherai-je à Abraham ce que je vais faire, … ». Cette intimité annonce la relation d’amitié que Jésus ouvrira par l’exigence de la charité.

Abraham devient le confident de Dieu ! Il le devient à cause de sa foi et dans la perspective de sa vocation, de l’étendue de sa paternité qui s’étendra à toutes les nations. Ce sera donc une paternité spirituelle, car cette bénédiction est conditionnée au respect de l’observance de la voie de Yahvé ; il faut donc en conclure, que la paternité spirituelle d’Abraham qui, certes, passe par sa maison et donc par extension par la nation hébraïque puis juive, dépasse le cadre de sa lignée charnelle. L’histoire du développement démographique du peuple de l’Alliance démontre qu’il en est bien ainsi : d’autres, étrangers à la lignée charnelle d’Abraham, n’en devinrent pas moins ses enfants en se convertissant à la Loi, en acceptant la circoncision : l’histoire de Jacob l’illustre. Ce passage prophétise sur la conversion des peuples.

 

« Yahvé dit : « Le cri contre Sodome et Gomorrhe, qu’il est intense ! et leur péché, qu’il est grave ! Je vais donc descendre et voir si la clameur qui, contre eux, est venue jusqu’à moi, répond à tout ce qu’ils ont fait ; sinon, je le saurai. »

Les hommes repartirent de là et allèrent vers Sodome, tandis que Yahvé se tenait encore devant Abraham. » (Gen. 18, 20-22)

 

Dieu se montre juste, avant de prendre sa décision, il veut connaître la réalité de ce qui se passe, mais ce qu’il a entendu l’inquiète quant à la gravité et à la nature du péché de ces deux cités cananéennes. Sur le chemin du retour, il ne reste plus qu’une Personne divine en compagnie d’Abraham qui lui se tient en retrait par apport à Yahvé. Abraham, de  par cette attitude, exprime son respect pour ce Personnage, ce n’est plus tout à fait une situation d’intimité. Yahvé se distance d’Abraham, il affirme qu’il est Dieu.

 

 

« Abraham s’avança et dit : « Vas-tu vraiment faire périr le juste avec le méchant ? Peut-être y a-t-il cinquante justes au milieu de la ville. Vas-tu vraiment les faire périr ? Ne pardonneras-tu pas à ce lieu, en raison des cinquante justes qui s’y trouvent ? Loin de toi d’agir de cette manière : faire mourir le juste avec le méchant ! Loin de toi ! Celui qui juge toute la terre ne pratique pas le droit ! » Yahvé dit : « Si je trouve à Sodome cinquante justes au milieu de la ville, je pardonnerai à tout ce lieu, à cause d’eux. »

Abraham prit la parole et dit : « Voici que j’ose parler à mon Seigneur, moi qui suis poussière et cendre ! […] Abraham dit : « Daigne mon Seigneur ne pas se mettre en colère, si je parle : peut-être s’y en trouvera-t-il trente. » […] Abraham dit : « Voici que j’ose parler à mon Seigneur : peut-être s’y en trouvera-t-il vingt. » Abraham dit : « Daigne mon Seigneur ne pas se mettre en colère, si je parle encore une fois : peut-être s’y en trouvera-t-il dix. » Il dit : Je ne détruirai pas, à cause des dix. » Yahvé s’en alla, lorsqu’il eut achevé de parler à Abraham, et Abraham retourna chez lui. » (Gen : 18, 23-33)

 

 

Le verset 23 pose un questionnement déroutant : comment Abraham a-t-il appris l’intention de Yahvé ? Il l’a connue par Yahvé, mais par quel procédé, puisque rien dans ce récit ne le dit ? Il y a deux possibilités : Yahvé le lui révèle en esprit pendant l’entretien ou il en a eu la vision plus tôt durant son lourd sommeil (chap. 15, 12-16) ; je pencherai pour cette seconde réponse.  Car selon la tradition, durant ce lourd sommeil, Abraham aurait eu la vision de toute la destinée des peuples et de son peuple issu de ses reins. C’est ce qui pourrait expliquer que durant l’entretien rien n’est dit sur les châtiments que Dieu envisage pour punir ces deux cités de leur péché. Ce verset  illustre qu’Abraham et sa descendance sont maintenant impliqués dans le plan de Salut de Dieu sur l’humanité.

Mais l’importance de ce récit est immense et d’une nature absolument révolutionnaire pour le monde de cette époque ; car la culture du divin est une culture de soumission : on ne discute pas avec les dieux, on n’intercède pas directement, on n’envisage pas une conversation avec la divinité autrement que par le sorcier, le prêtre. On envisage encore moins que l’on puisse s’opposer à la volonté des dieux, bien sûr les Grecs dans leur mythologie ont rêvé de le faire, l’ont envisagé par l’intermédiaire des demi-dieux, des héros. Mais à l’âge du bronze, avec la mentalité du néolithique, cette période d’Abraham, on se contente surtout d’apaiser la puissance des dieux, d’apaiser leur colère, on leur offre des sacrifices souvent humains, la vallée nommée Géhenne en est un vestige : ce mot cananéen veut dire « mon enfant » ; l’enfant que l’on sacrifiait aux dieux pour apaiser leur colère en période d’épidémie ou de guerre.

Ce récit est une révolution culturelle et religieuse, car c’est la première fois qu’un homme se dresse contre la volonté de Dieu et qu’il intercède pour d’autres hommes afin d’obtenir le pardon divin. C’est un évènement d’une audace inouïe, incompréhensible : c’est un scandale ! Oser faire face à la volonté de Dieu ! Noé n’a pas intercédé, il se contenta d’obéir, il n’essaya pas de sauver son peuple, il n’essaya pas de convaincre ses frères de corriger leur vie, non ! Noé s’est contenté de subir la volonté de Dieu.

Ce récit devrait être appelé « L’Entête de la Miséricorde » ; l’évènement est si exceptionnel que l’Esprit de Dieu le soutenait, c’est d’une telle audace qu’il a fallu une conversion intérieure et culturelle chez Abraham.

On voit très bien ce qu’annonce cet évènement, ce qu’il va signifier pour le peuple élu ; il va intercéder pour le monde, car d’au milieu de lui jaillira la Miséricorde vivante, le Pardon, l’Unique Intercesseur. Ce peuple a plus qu’aucun autre la vocation du PARDON ! Dans le déroulement de son histoire, nous verrons qu’il ne cessa de jouir de la grâce du pardon, mais quant à lui, il ne saura jamais l’exercer pour autrui. Cet abîme de l’impuissance à l’amour de l’autre est sa principale cause d’aliénation séculaire. La plupart de ses actions passées ou présentes sont dans la lumière de cette impuissance qu’il utilise dans une dialectique quasi amorale pour la justification d’actions trop souvent prévaricatrices.

Jésus, Dieu de toute miséricorde, exige de ses disciples le pardon des offenses, mais pas seulement, il exige que l’on prie pour nos ennemis. L’intercession d’Abraham est le terreau humain dans lequel va se greffer la culture de la miséricorde, la culture du pardon que sanctifiera la grâce baptismale.

Ce récit est une annonce indirecte du projet de Dieu sur l’homme : proposer à l’homme blessé par le péché originel de devenir son ami, plus encore d’entrer dans l’amitié divine des Trois Personnes de la Sainte Trinité…

Yahvé Dieu se laisse toucher par l’intercession d’Abraham : « Je ne détruirai pas à cause des dix. »  Dieu commence à dévoiler, découvrir sa vrai nature divine : il est amour, il est miséricorde parce qu’il est humble.

Dieu entame la plus extraordinaire des pédagogies jamais initiée par l’homme : pédagogie divine et pédagogie humaine ; les deux ne sont-elles pas unies [1]?

 

 

 

 

 

 



[1] Il y a peu, sur une chaîne de télévision, on traita de la destruction de ces deux cités : on expliqua le procédé physique et chimique qui se produisit ; et les savants de conclurent que cet évènement n’avait rien de surnaturel, que Dieu n’y serait pour rien. Dans un psaume Dieu fait dire à l’auteur : « aucun de tes cheveux ne tombe sans ma permission. » Ce n’est donc pas parce qu’on a pu expliquer les raisons physiques de cette destruction que Dieu n’est pas intervenu. Car il aurait tout aussi bien pu empêcher celle-ci : n’est-il pas le Créateur de toute chose visible et invisible ! Donc les explications scientifiques ne peuvent en aucune manière induire que ces évènements ne furent pas de la volonté de Dieu. Certains se demandent si Dieu peut être l’auteur d’un évènement si catastrophique du point de vue humain : Dieu peut-il être l’auteur d’un génocide ? Nous le savons il est l’auteur du Déluge. La réponse à cette interrogation se trouve dans les lumières des fins dernières, de l’eschatologie. Dieu ayant vu le péché de ces cités aura sans doute compris qu’elles n’avaient pas le cœur à la repentance et que leur péché était si énorme qu’il pouvait contaminer d’autres cités ; nous sommes aussi dans le début de la pédagogie divine, Dieu va faire comprendre à Abraham et à sa descendance qu’il est bien le maître de la vie et de la mort. Et puis, on oublie souvent un autre aspect, durant le déroulement de cette catastrophe bien des citoyens de ces deux cités auront eu l’opportunité de se repentir de leur péché ou du moins d’en prendre conscience ; ainsi dans le shéol, ils seront plus humbles et pourront accueillir celui qui déjà s’annonce : le Sauveur. Ce genre d’évènement dérange beaucoup de nos esprits contemporains qui veulent un Dieu à leur convenance, de préférence rose-bonbon, un tantinet « socialo-soixante-huitard » ; un Dieu convenable ! Non, Dieu n’est pas convenable, car il est humble !