LA LETTRE CATHOLIQUE N° 30bis
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SOYEZ FIERS D’ETRE DE L’EGLISE CATHOLIQUE APOSTOLIQUE ET ROMAINE
LE PAPE BENOÎT XVI
QU’ELLE PRONONCA
EN
Commenté par Pierre-Charles
Aubrit Saint Pol,
Rédacteur en chef de la
Lettre Catholique
« Nous sommes au cœur du drame non réductible qui
oppose nos deux cultures. Toutes les deux, dans la logique de leur
développement, sont amenées à une compréhension de l’homme radicalement
opposée, irréconciliable à moins que l’Occident n’abandonne l’essence même de
son identité. Reniera-t-il la grâce qui le fait agir en bien ou en mal :
la reconnaissance de l’usage du libre arbitre, l’usage sacré de la liberté de
conscience. » (extrait du commentaire du discours de Ratisbonne, de
P.C.A.St.P.)
« Est ce qui est…
La Vérité est ou n’est pas…
En témoigner est une
obligation.
On ne s’en excuse
pas. »
( L’Hermite des temps nouveaux)
Commentaire et étude du
discours de Ratisbonne
prononcé par Sa Sainteté le
Pape Benoît XVI
Le sujet du discours que Benoît XVI prononça à l’Université de
Ratisbonne porte sur la relation entre raison et foi et la violence qui
s’oppose à la nature de l’homme et à celle de Dieu.
C’est la raison pour laquelle, il cite l’entête de l’Évangile de
saint Jean et en donne le sens exacte :
Au commencement
était le logos…Logos signifie à la fois raison et parole, une raison qui est créatrice et capable
de se transmettre mais, précisément, en tant que raison », affirme le
pape. C’est à ce grand logos, à cette ampleur de la raison, que nous invitons nos
interlocuteurs dans le dialogue des cultures.
Peu avant de prononcer son discours, le saint Père fit
une prière à Marie : « …donne-moi la force et le courage de dire ce
que je dois dire… » Il ne s’agit pas d’une bourde, mais bien d’un propos
réfléchis et d’un enseignement.
Une fois par semestre, il y
avait ce que l’on appelait le dies academicus où les professeurs de
toutes les facultés se présentaient devant les étudiants de toute l’université,
permettant ainsi une expérience d’universitas une chose
à laquelle vous aussi, Monsieur le Recteur, vous avez fait récemment
allusion, c’est-à-dire l’expérience du fait que nous tous, malgré toutes les
spécialisations, qui parfois nous rendent incapables de communiquer entre nous,
formons un tout et travaillons dans le tout de l’unique raison dans ses
diverses dimensions, en étant ainsi ensemble également face à la responsabilité
commune du juste usage de la raison ce phénomène devenait une expérience
vécue.
Ce passage se trouve dans le long préambule de son
discours, peut-on le considérer comme un simple souvenir anecdotique ?
Nous sommes en présence d’un enseignant. La suite de
son discours nous laisse à penser que c’est bien un enseignement, une
instruction.
Nous pensons, qu’il serait plus à propos de l’entendre
comme un appel. Un appel aux intellectuels catholiques pour qu’ils s’unissent
dans un même axe, qu’ils fassent front commun contre toutes les dérives
philosophiques et religieuses susceptibles d’entraîner l’humanité dans un cahot
d’inhumanité : formons un tout et travaillons dans
le tout de l’unique raison dans ses diverses dimensions.
Saurons-nous répondre à cet appel ? En avons-nous
le désir ? En prendrons-nous tous les risques ?
Cette
cohésion intérieure dans l’univers de la raison ne fut même pas troublée
lorsqu’un jour la nouvelle circula que l’un de nos collègues avait affirmé
qu’il y avait un fait étrange dans notre université : deux facultés qui
s’occupaient de quelque chose qui n’existait pas, de Dieu. Même face à un scepticisme aussi radical, il
demeure nécessaire et raisonnable de s’interroger sur Dieu au moyen de la
raison et cela doit être fait dans le contexte de la tradition de la foi
chrétienne : il s’agissait là d’une conviction incontestée, dans toute
l’université.
Il s’agit d’un autre souvenir anecdotique, il
l’utilise pour poser le fondement de l’enseignement qu’il s’apprête à
donner : il
demeure nécessaire et raisonnable de s’interroger sur Dieu au moyen de la
raison et cela doit être fait dans le contexte de la tradition de la foi
chrétienne…
C‘est une apostrophe adressée aux intellectuels et
théologiens chrétiens mais surtout catholiques.
C’est un appel à se libérer, se purifier
définitivement de toute idéologie, d’avoir souci que de la vérité. La vérité
pour ce qu’elle est, comme elle se présente, qu’importe si elle nous dérange
puisqu’elle nous libère.
Cet appel invite les catholiques à se délivrer des
attitudes, des pratiques, que certains courants génèrent. Ils laissent la part
belle à la sensiblerie, à l’affectivité si fortement aliénantes. Ceux-ci en
viennent à se défier de la vie intellectuelle, de l’usage sain de la raison.
Ils s’enferment dans des considérations fâcheuses, des errements doctrinaux,
développent un profil psychologique sectaire.
Le
dialogue porte sur toute l’étendue de la dimension des structures de la foi
contenues dans la Bible et dans le Coran et s’arrête notamment sur l’image de
Dieu et de l’homme, mais nécessairement aussi toujours à nouveau sur la
relation entre comme on le disait les trois « lois » ou trois
« ordres de vie » […] ; je voudrais seulement aborder un
argument assez marginal dans la structure de l’ensemble du dialogue qui, dans
le contexte du thème « foi et raison », m’a fasciné et servira de
point de départ à mes réflexions sur ce thème.
Ce passage détermine la compréhension de la suite du
discours.
Le Saint Père prend à bras le corps le fond des
difficultés qui opposent chrétiens et musulmans, plus précisément catholiques
et musulmans et enfin, par extension logique, la civilisation occidentale et la
civilisation musulmane avec ses multiples cultures.
Il s’agit d’un acte d’un courage intellectuel et
spirituel d’une extraordinaire portée. C’est l’événement majeur pour tous les
chrétiens de ce début de siècle. Il brise une des portes infernales des enfers
modernes. Il aplanit le chemin pour les intellectuels catholiques et chrétiens,
mais également pour le monde politique qu’il met face à sa conscience. La
nature profonde de la religion musulmane apparaît pour ce qu’elle est.
Il y a quelques années de cela, l’écrivain égyptien,
Naguib Mahfouz, décédé récemment, disait : Quand les musulmans admettront que
l’homme n’est pas simplement un individu mais une personne, l’islam
disparaîtra…, citation de mémoire.
La pensée de cet écrivain ne laisse aucun doute sur la
prise de conscience réelle, réaliste : il y a bien un conflit latent entre
ces deux cultures. Et, s’il fallait un autre témoignage lisons celui du
responsable musulman de Marseille : « Il n’y a rien de choquant dans le discours de
Benoît XVI. »
La suite du discours de Benoît XVI n’a donc rien
d’inattendu.
Dans le
septième entretien dialexis controverse[…] l’empereur aborde le thème du
djihad, de la guerre sainte. Assurément l’empereur savait que dans la sourate
2.256 on peut lire : « Nulle contrainte en religion ! » […]
l’empereur avec une rudesse assez surprenante qui nous étonne, […], en
disant : Montre-moi donc ce que Mahomet a apporté de nouveau, et tu y
trouveras seulement des choses mauvaises et inhumaines, comme son mandat de
diffuser par l’épée la foi qu’il prêchait.
L’empereur,
après s’être prononcé de manière si peu amène, explique ensuite minutieusement les raisons pour
lesquelles la diffusion de la foi à travers la violence est une chose
déraisonnable. La violence est en opposition avec la nature de Dieu et la
nature de l’âme : Dieu n’apprécie pas le sang dit-il, ne pas agir selon
la raison, sum logô, est contraire à la nature de Dieu. La foi est le fruit de
l’âme, non du corps. Celui, par conséquent, qui veut conduire quelqu’un à la
foi a besoin de la capacité de bien parler et de raisonner correctement, et non
de la violence et de la menace […] Pour convaincre une âme raisonnable, il
n’est pas besoin de disposer ni de son bras, ni d’un instrument pour frapper ni
de quelque autre moyen que ce soi avec lequel on pourrait menacer une personne
de mort […]
L’affirmation
décisive dans cette argumentation contre la conversion au moyen de la violence
est : ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu.
L’éditeur Théodore Kloury commente : pour l’empereur, un Byzantin qui a
grandi dans la philosophie grecque, cette affirmation est évidente. Pour la
doctrine musulmane, en revanche, Dieu est absolument transcendant. Sa volonté
n’est liée à aucune de nos catégories, fût-ce celle du raisonnable. Dans ce
contexte, Kloury cite une œuvre du célèbre islamologue français R. Arnaldez,
qui explique que Ibn Hazn va jusqu’à déclarer que Dieu ne serait pas même lié
par sa propre parole et que rien ne l’obligerait à nous révéler la vérité. Si cela était sa volonté, l’homme devrait
même pratiquer l’idolâtrie.
Nous sommes au cœur du drame non réductible qui oppose
nos deux cultures. Toutes les deux, dans la logique de leur développement, sont
amenées à une compréhension de l’homme radicalement opposée, irréconciliable à
moins que l’Occident n’abandonne l’essence même de son identité. Reniera-t-il
la grâce qui le fait agir en bien ou en mal : la reconnaissance de l’usage
du libre arbitre, l’usage sacré de la liberté de conscience.
La mise en évidence des deux natures de ces deux
religions et cultures est, dans l’urgence du moment, une nécessité qui ne
pouvait plus attendre. Une nécessité servie pour le plus grand bien des
chrétiens et des musulmans réellement modérés qui comprennent, qu’il y a
incompatibilité entre l’adoration, la prière et la violence. On ne peut être de
Dieu et souhaiter la mort de son ennemi. La mort de l’autre pour l’honneur de
Dieu blesse sa gloire : l’homme vivant est la gloire de Dieu.
Nous lisons dans ce passage le recul manifeste de
Benoît XVI quant à la rudesse des paroles de l’empereur qui n’est cité que dans
le cadre d’une argumentation déterminée par la nécessité de son discours.
Ici
s’ouvre, dans la compréhension de Dieu et donc de la réalisation concrète de la
religion, un dilemme qui aujourd’hui nous met au défi de manière très directe.
La conviction qu’agir contre la raison serait en contradiction avec la nature
de Dieu, est-elle seulement une manière de penser grecque ou vaut-elle toujours
en soi ? […] En modifiant le premier verset du Livre de la Genèse, le
premier verset de toute l’Écriture Sainte, Jean a débuté le prologue de son
Évangile par les paroles : Au commencement était le Logos. Tel est
exactement le mot qu’utilise l’empereur : Dieu agit « sun
logô », avec logos. Logos signifie à la fois raison et parole, une
raison qui est créatrice et capable de se transmettre mais, précisément, en
tant que raison. Jean nous a ainsi fait
le don de la parole ultime sur le concept biblique de Dieu, […] Au commencement
était le logos, le logos est Dieu, nous dit l’Évangéliste. La rencontre entre
le message biblique et la pensée grecque n’était pas un simple hasard. La
vision de saint Paul (où) il vit un Macédonien et entendit son appel : Passe
en Macédoine, vient à notre secours !( Ac. 16, 6-10) cette vision
peut-être interprétée comme un « raccourci » de la nécessité
intrinsèque d’un rapprochement entre la foi biblique et la manière grecque de
s’interroger.
En
réalité, ce rapprochement avait déjà commencé depuis très longtemps. Déjà le
nom mystérieux du Dieu du buisson ardent, qui éloigne l’homme des divinités
portant de multiples noms en affirmant uniquement son Je suis, son être, est, vis-à-vis du
mythe, une contestation avec laquelle entretient une profonde analogie la
tentative de Socrate de vaincre et de dépasser le mythe lui-même. Le processus
qui a commencé auprès du buisson atteint, dans l’Ancien Testament, une nouvelle
maturité pendant l’exile, lorsque le Dieu d’Israël, à présent privé de la Terre
et du culte, s’annonce comme le Dieu du ciel et de la Terre, en se présentant
avec une simple formule qui prolonge la parole du buisson : Je suis. […] Aujourd’hui, nous savons que
la traduction grecque de l’Ancien Testament réalisée à Alexandrie la
« Septante » est plus qu’une simple
( un mot
qu’on pourrait presque comprendre de façon assez négative) traduction du texte
hébreu : c’est en effet un témoignage textuel qui a valeur en lui-même et
une étape spécifique importante de l’histoire de la Révélation, à travers
laquelle s’est réalisée cette rencontre d’une manière qui, pour la naissance du
christianisme et sa diffusion, a eu une signification décisive.
Fondamentalement, il s’agit d’une rencontre entre la foi et la raison, entre
l’authentique philosophie des lumières1 et la religion. En partant
véritablement de la nature intime de la foi chrétienne et, dans le même temps,
de la nature de la pensée grecque qui ne faisait désormais plus qu’un avec la
foi, Manuel II pouvait dire : Ne
pas agir « avec le logos » est contraire à la nature de Dieu.
Benoît
XVI pose la question de savoir si l’usage de la raison est contradictoire avec
la foi. Il n’y répond pas immédiatement. Il résume l’histoire de
l’interpénétration progressive de la philosophie grecque et de la Révélation
hébraïque et chrétienne, son rôle pour sa compréhension, pour sa diffusion.
Il démontre que Dieu lui-même aurait été l’artisan de
l’introduction progressive de la pensée grecque dans la Révélation qu’Il fait
de lui-même. Il donne à l’homme le matériau qui lui permet de répondre à la
nécessité de nourrir et défendre la progressive prise de conscience qu’il n’est
pas seulement un individu impersonnel, mais une personne, un être en soi.
On peut avancer, que dans la pensée de Benoît XVI
sourde l’idée et la contemplation de la volonté qu’a Dieu sur l’homme. Dieu en
fait un être responsable, libre. Il est libre de déposer, dans un blasphème
effarant, cette liberté en le rejetant, Lui son Créateur, son Dieu.
Dans cet exposé, il y a la démonstration progressive
et magistérielle que la Parole entendue par l’homme, révélée à un homme doué de
la parole, serait l’un des sceaux qui signent que ce Dieu, ce Dieu de nos pères
depuis Adam et Eve, est bien un Dieu doué de raison. Et, s’il s’adresse à l’homme, c’est qu’il
établit un entretien privilégié qui souligne que son interlocuteur est
également doué de raison et qu’il veut, Lui-même, établir une relation
raisonnable avec sa propre image qu’est l’homme.
Il semble y avoir une autre idée qui sourde dans la
pensée de Benoît XVI : en effet, il lui apparaît que Dieu, par l’œuvre de
l’Esprit Saint, disposa des dons particuliers au peuple Grecque, pour venir, en
son heure, rendre possible l’universalité de la Révélation Hébraïque et
Chrétienne, de même qu’Il aura agi sur la Rome antique afin que celle-ci
dispose à cette mission sacrée ces moyens pratiques et juridiques.
Benoît XVI le précise clairement plus loin dans son
discours :
Le
rapprochement intérieur mutuel évoqué ici, qui a lieu entre la foi biblique et
l’interrogation sur le plan philosophique de la pensée grecque, est un fait
d’une importance décisive non seulement du point de vue de l’histoire des
religions, mais également de celui de l’histoire universelle, un fait qui nous
crée des obligations aujourd’hui encore.
En tenant compte de cette rencontre, […] ait en fin de compte trouvé son
empreinte décisive d’un point de vue historique en Europe. Nous pouvons
l’exprimer dans l’autre sens : cette rencontre, à laquelle vient également
s’ajouter par la suite le patrimoine de Rome, a créé l’Europe et demeure le
fondement de ce que l’on peut à juste titre appeler l’Europe.
Nous constatons que l’acte humain est originellement
et naturellement porté au service du salut de l’humanité dans le respect du
libre arbitre.
Par honnêteté, il faut remarquer ici que, à la fin
du Moyen Age, se sont développées dans la théologie, des tendances qui
rompaient cette synthèse entre esprit grec et esprit chrétien. […] Dieu ne
devient pas plus divin du fait que nous le repoussons loin de nous dans un pur
et impénétrable volontarisme, mais Dieu véritablement divin est ce Dieu qui
s’est montré comme logos et comme logos a agi et continue d’agir plein d’amour
en notre faveur. Bien sûr, l’amour, comme le dit saint Paul, dépasse la
connaissance et c’est pour cette raison qu’il est capable de percevoir
davantage que la simple pensée (cf. Ep. 3, 19), mais il demeure l’amour du
Dieu-Logos, pour lequel le culte chrétien est, comme le dit encore Paul « logikè lateria » un culte qui
s’accorde avec le Verbe éternel et avec notre raison (cf. Rm 12, 1) […]
La
déshellénisation apparaît d’abord en liaison avec les postulats de la Réforme
au XVI e siècle. En considérant la tradition des écoles
théologiques, les réformateurs se retrouvent face à une systématisation de la
foi conditionnée totalement par la philosophie, c’est-à-dire face à une
détermination de la foi venue de l’extérieur en vertu d’une manière de penser
qui ne dérive pas de celle-ci. Ainsi la
foi n’apparaissait plus comme une parole historique vivante, mais comme un
élément inséré dans la structure d’un système philosophique. […] avec son
affirmation d’avoir dû mettre de côté la pensée pour faire place à la foi, Kant
a agi en se basant sur ce programme avec un radicalisme que les réformateurs ne
pouvaient prévoir. Ainsi a-t-il ancré la foi exclusivement dans la raison
pratique, en lui niant l’accès au tout de la réalité.
La
théologie libérale du XIXe et du XXe siècle représenta
une deuxième époque dans le programme de la déshellénisation : Adolf von
Harnack en est un éminent représentant. […] La réflexion centrale qui apparaît
chez Harnack est le retour à Jésus simplement homme et à son message simple,
qui serait précédent à toutes les théologisations ainsi, précisément, qu’à toute hellénisation : ce serait ce
message simple qui constituerait le véritable sommet du développement religieux
de l’humanité. Jésus aurait donné congé au culte en faveur de la morale. […]
Pour nos
réflexions est cependant aussi important le fait que la méthode comme telle
exclut la question de Dieu, la faisant apparaître comme une question
ascientifique ou pré-scientifique. Mais cela nous place devant une réduction du
domaine de la science et de la raison, dont il faut tenir compte.
[…] Pour
le moment, il suffit d’avoir à l’esprit que, avec une tentative faite à la
lumière de cette perspective pour conserver à la théologie le caractère de
discipline « scientifique », il ne resterait du christianisme qu’un
misérable fragment. Mais il nous faut aller plus loin : si la science
n’est que cela dans son ensemble, alors c’est l’homme lui-même qui devient
victime d’une réduction. […] Cependant, l’ethos et la religion perdent ainsi
leur force de créer une communauté et tombent dans le domaine de l’arbitraire
personnel. C’est une situation dangereuse pour l’humanité : nous le
constatons dans les pathologies menaçantes de la religion et de la raison, des
pathologies qui doivent nécessairement éclater, lorsque la religion est réduite
à un point tel que les questions de la religion et de l’ethos ne la regardent
plus. Ce qui reste des tentatives pour construire une éthique en partant des
règles de l’évolution, de la psychologie ou de la sociologie, est simplement
insuffisant.
Avant de
parvenir aux conclusions auxquelles tend tout ce raisonnement, je dois encore
brièvement mentionner la troisième époque de la déshellénisation […], on aime
dire aujourd’hui que la synthèse avec l’hellénisme, qui s’est accomplie dans
l’Église antique, aurait été une première inculturation, qui ne devrait pas
lier les autres cultures. Celles-ci devraient avoir le droit de revenir en
arrière jusqu’au point qui précédait cette inculturation pour découvrir le
simple message du Nouveau Testament et l’inculturer ensuite à nouveau dans leurs
milieux respectifs. Cette thèse n’est pas complètement erronée ; elle est
toutefois grossière et imprécise. En effet, le Nouveau Testament a été écrit en
langue grecque et contient en lui le contact avec l’esprit grec un contact qui
avait mûri dans le développement précédent
de l’ancien Testament. Il existe certainement des éléments dans le
processus de formation de l’Église antique qui ne doivent pas être intégrés
dans toutes les cultures. Mais les décisions de fond qui concernent précisément
le rapport de la foi avec la recherche de la raison humaine, ces décisions de
fond font partie de la foi elle-même et en sont les développements, conformes à
sa nature.
Benoît XVI fait ici le résumé historique des déviances
qui aboutirent soit à s’éloigner de l’usage de la raison, soit à en faire un
principe si ultime que l’on finit par s’en servir comme moyen absolu démontrant
l’inexistence de Dieu ou celle qui contribue à pérenniser la crise dite du
modernisme.
Dans ce passage, d’une densité intellectuelle peu commune,
défilent les étapes qui structurèrent, nourrirent les fondations de la culture
révolutionnaire. Qui furent, qu’on le veuille ou non, les vecteurs criminogènes
de toute notre histoire contemporaine. Elles le sont toujours et nous en
subissons les effets d’une étonnante permissivité.
Nous sommes en présence d’une menace sans
précédent : la proximité d’un cahot dans lequel pourraient se précipiter
les génocides dépassant de loin ce que la mémoire humaine peut supporter.
Il est à noter que ce long passage comporte un état
qu’aucun pape moderne n’aura établi sur la réalité du schisme de la Réforme. Il
pourrait s’agir de la fin d’un œcuménisme mou qui tend à culpabiliser l’Église
Catholique de ce qu’elle est en vérité. Mettre un terme à ce sous-entendu qui
consiste à vouloir l’unité au prix d’une renonciation à ce qui est l’essence
même de notre Église, est une nécessité urgente, impérative, elle ne souffre
plus d’atermoiement.
Les catholiques souffrent d’une identité fragilisée
par un discours philosophique, théologique et historique auto-accusateur,
auto-flagellateur. Cela suffit ! Le défunt pape Jean-Paul II le Grand,
lors de l’entrée dans ce nouveau siècle, y a introduit l’Église par un acte
magnifique de repentance. Il n’y a plus aucune raison de partir enchaîné à la
conquête des siècles à venir… Laissons-nous entraîner par l’école de Marie et
pour le reste, comme le disent populairement nos générations : qu’ils aillent se faire
foutre !
La rigueur intellectuelle du Saint Père s’établit dans
une lumière de charité qui ne se sépare pas de l’exigence de la vérité et ce,
aussi bien envers nos frères protestants qu’envers les tenants des formes
diversifiées des errances contemporaines.
Ici, nous voudrions apporter notre témoignage
personnel.
Dans notre recherche intellectuelle et spirituelle
quant à notre besoin de comprendre l’Église pour mieux la servire et l’aimer,
pris dans le maelström des émissions d’idées toutes contradictoires, la
tentation nous est venue de rechercher la tradition originelle de ses
fondations. Nous fûmes tentés de repousser tout apport hellénistique croyant
qu’il fallait vivement rechercher ses fondations dans les traditions de
l’Ancien Testament. Nous fûmes écartés de celle-ci grâce à Dieu et par la lecture attentive des œuvres majeures
de Platon, la fréquentation de Thomas et de certains de ses affidés.
Il existe des courants, opposés entre eux, dont
l’influence tend à nourrir cette tentation, cette fuite en avant où se gonfle
d’importance un moi défiguré.
La vie spirituelle et intellectuelle ne supporte pas
la négligence ni la compromission. Le service de la Vérité, quelle que soit sa
forme formelle, est un sacerdoce, car il exige le don de soi, le don du tout de
soi jusqu’à celui du don de sa vie. Ce
serviteur est un pont sur lequel passent les personnes qui des ténèbres
prennent le risque de la lumière, un risque d’appauvrissement du moi…
Avec
ceci, j’arrive à la conclusion. Cette tentative, uniquement dans de grandes
lignes, de critique de la raison moderne de l’intérieur, n’inclut absolument
pas l’idée que l’on doive retourner en arrière, avant le siècle des lumières,
en rejetant les convictions de l’époque moderne. […] nous sommes tous
reconnaissants pour les possibilités grandioses qu’il a ouvert à l’homme et pour
les progrès dans le domaine humain qui nous ont été donnés. Du reste, l’ethos
de l’esprit scientifique est vous l’avez mentionné, Monsieur le Recteur, la
volonté d’obéissance à la vérité, et donc l’expression d’une attitude qui fait
partie des décisions essentielles de l’esprit chrétien. L’intention n’est donc
pas un recul, une critique négative ; il s’agit en revanche d’un
élargissement de notre concept de raison et de l’usage de celle-ci. Car malgré
toute la joie éprouvée face aux possibilités de l’homme, nous voyons également
les menaces qui y apparaissent et nous devons nous demander comment nous
pouvons les dominer. Nous y réussissons seulement si la raison et la foi se
retrouvent unies d’une manière nouvelle ; si nous franchissons la limite
auto-décrétée par la raison à ce qui est vérifiable par l’expérience, et si
nous ouvrons à nouveau à celle-ci toutes ses perspectives. C’est dans ce sens
que la théologie, non seulement comme discipline historique, humaine et
scientifique, mais comme véritable théologie, non seulement comme interrogation
sur la raison de la foi, doit trouver sa place à l’université et dans le vaste
dialogue des sciences.
Ce n’est
qu’ainsi que nous devenons également aptes à un véritable dialogue des cultures
et des religions, un dialogue dont nous avons un besoin urgent. Dans le monde
occidental domine largement l’opinion que seule la raison positive et les
formes de philosophie qui en découlent sont universelles. Mais les cultures
profondément religieuses du monde voient précisément dans cette exclusion du
divin de l'universalité de la raison une attaque à leurs convictions les plus
intimes. Une raison qui reste sourde face au divin et qui repousse la religion
dans le domaine des sous-cultures, est incapable de s'insérer dans le dialogue
des cultures. […] Mais la question sur la raison de ce fait donné existe et
doit être confiée par les sciences naturelles à d'autres niveaux et façons de
penser à la philosophie et à la théologie. Pour la philosophie et, de manière
différente, pour la théologie, l'écoute des grandes expériences et convictions
des traditions religieuses de l'humanité, en particulier celle de la foi
chrétienne, constitue une source de connaissance; la refuser signifierait une
réduction inacceptable de notre capacité d'écoute et de notre capacité à
répondre.
Il me vient ici à l'esprit une parole de Socrate à Phédon. Dans les entretiens précédents, ils avaient traité de nombreuses opinions philosophiques erronées, et Socrate s'exclamait alors : « Il serait bien compréhensible que quelqu'un, en raison de l'irritation due à tant de choses erronées, se mette à haïr pour le reste de sa vie tout discours sur l'être et le dénigrât. Mais de cette façon, il perdrait la vérité de l'être et subirait un grand dommage. » Depuis très longtemps, l'occident est menacé par cette aversion contre les interrogations fondamentales de sa raison, et ainsi il ne peut subir qu'un grand dommage. Le courage de s'ouvrir à l'ampleur de la raison et non le refus de sa grandeur voilà quel est le programme avec lequel une théologie engagée dans la réflexion sur la foi biblique entre dans le débat du temps présent. « Ne pas agir selon la raison, ne pas agir avec le logos, est contraire à la nature de Dieu » a dit Manuel II, partant de son image chrétienne de Dieu, à son interlocuteur persan. C'est à ce grand logos, à cette ampleur de la raison, que nous invitons nos interlocuteurs dans le dialogue des cultures. La retrouver nous-mêmes toujours à nouveau, est la grande tâche de l'université.
La conclusion de Benoît XVI ne laisse aucun doute sur
la droiture de ses intentions. Il conclut par un acte d’espérance dans les
fruits possibles d’un dialogue nécessaire entre les religions. Un dialogue qui,
de part l’urgence et l’importance de la situation, demande une vérité totale,
intégrale qui ne laisse aucune place à des sous entendus malsains qui
empêcheraient l’émergence d’une vérité enchâssée dans la charité. La vérité
n’est pas séparable de la charité ni de la justice.
Dans les passages concernant l’Islam, il n’y a rien
d’offensant.
La vérité n’est ressentie comme offensante que par
ceux qui ne veulent pas l’entendre… Si les musulmans décidaient de rompre tout
dialogue avec l’Église, cela serait leur problème, cela serait de leurs
responsabilités au ciel et sur la Terre… Mais ce n’est pas les citations de
Benoît XVI qui les justifieront. Le prétexte est rarement enfant de la justice
et de la vérité.
Il n’est plus possible pour l’Église d’aller de
l’avant sans préciser sa pensée devant la multiplication de comportements
gravement contraires au respect de la vie, de la dignité de l’homme. Le siècle
précédent nous a convaincus qu’on ne pouvait tuer au nom d’une idéologie ni au
nom de Dieu.
La communauté musulmane ne pourra pas longtemps faire
l’impasse sur une analyse historique, sociologique de sa foi ; si elle se
refuse à cette démarche et, compte tenu de l’épuisement inévitable de ses
richesses naturelles, elle risque de se retrouver marginalisée de l’ensemble de
l’humanité d’ici la fin de ce siècle. Elle n’aurait alors que deux possibilités
tragiques, celle de la guerre contre le genre humain ou celle du repliement sur
soi avec l’assurance d’une disparition progressive et irréversible. Il semble,
qu’elle peut encore échapper à un dilemme tragique, mais la solution se trouve
dans la nécessité exprimée plus haut et dans un effort de vérité et de respect
d’autrui.
Il n’y a aucune raison pour le pape de s’excuser
d’avoir dit la vérité, car il n’y a pas eu de sa part une volonté délibérée
d’offenser les musulmans, d’autant qu’il n’y a rien d’offensant dans le
discours que nous venons de commenter.
Encore une fois, la vérité n’offense que ceux qui ne la veulent
recevoir.
Il ne doit pas non plus y avoir chez nos frères
musulmans l’espoir qu’un jour l’Église
se soumette à leur loi ; cette prétention là est irrecevable et présuppose
une démarche contraire à l’humilité de Dieu qui est Vérité et Amour.
La prétention de certains responsables musulmans à
espérer dominer le monde, un pan-islamique, relève d’une perception sortie de
toute réalité qui ne peut que générer un drame…
Nos politiques doivent avoir une claire conscience
qu’il n’y aura pas d’acceptation d’un second Munich…
Nos intellectuels doivent reprendre leur indépendance
envers les idéologies, les options politiques et les courants ténébreux qui
sont de véritables prédateurs d’espérance…
Nous voulons, en ces jours d’épreuve, exprimer notre
solidarité avec le Saint Père le pape Benoît XVI, lui exprimer notre
indéfectible communion et union en sa qualité exclusive de successeur de Pierre
sur qui est fondée l’Église du Christ.
Que l’on comprenne bien, il n’y a aucune contradiction
par rapport à son prédécesseur !
La démarche de Benoît XVI est dans la ligne directrice
du Concile Vatican II, dans celle de Paul VI et Jean-Paul II. Il s’agit d’un
accomplissement et non d’une rupture. Il importe peu, que certains de nos
frères catholiques aient fait des rêves, prenant aux forceps pour vérités leurs
aspirations contraires à l’exigence de la vérité évangélique. Voyons, s’ils se
ressaisiront ou s’ils nous joueront l’air des veilles ganaches en pleurs,
remplies de regrets des printemps inaccomplis.
Parce que catholique, nous sommes avec l’Église qui
est à Rome. Nous l’accompagnons dans la foi, l’espérance et la charité sur le
chemin de son Golgotha et sur la Croix. L’épouse n’a pas d’autre voie que celle
de l’Époux…